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Portfolio
Des secousses du vivant des morts des survivants du sauvage des sauvageons de la nature de l’esprit des lieux de la poésie du rêve de la clairvoyance du mensonge du vrai de la dépendance de la liberté de l’impermanence des choses de la patience, beaucoup.
La Mythologie des Hauteurs est née d’un constat : un vide iconographique sur la rive droite de la Mer de Glace. Ce vide m’est apparu comme une faille dans la mémoire, métaphore d’un effondrement en écho à la disparition des glaciers.
Cette absence résonne avec les mécanismes de dissociation que je rencontre chez les personnes accompagnées – cette capacité du psychisme à se détacher, à créer des vides protecteurs face au trauma. Comme ces rives invisibilisées du glacier, certaines mémoires se retirent, créent leurs propres géographies de l’oubli.
D’abord il y a cette cabane de moyenne montagne, lieu chaleureux dans un environnement hostile. Et puis il y a les services d’addictologie, l’unité Alzheimer, des résidents préparant une prochaine « ascension de vie ». L’hôpital présente de nombreux traits communs avec celui de la montagne.
C’est ainsi qu’est née l’idée du refuge : lieu d’altitude, abri temporaire, mais aussi refuge mental, psychique, symbolique. Un espace suspendu dans le temps, un moment pour reprendre souffle avant de poursuivre la route.
De cette absence, j’ai fait germer une réflexion sur la résilience. Car plus les glaciers fondent, plus les plantes grimpent, gagnent les hauteurs. À la perte répond la pousse. L’impermanence de la vie devient un fil d’or pour penser l’après.
Processus créatif
J’ai posé mes pas dans une démarche poétique des lieux, entrant délicatement dans le monde végétal, minéral, montagnard. J’ai exploré la forêt, dormi en montagne, expérimenté les montées, les descentes, pratiqué l’ethnobotanique. C’est physiquement que j’ai abordé le projet, en le vivant de façon totale.
J’ai mené ce projet en collaboration avec les hôpitaux du Mont-Blanc, travaillant avec des personnes dont les mémoires se fragmentent, se dissocient parfois pour survivre. En recontactant des mémoires perdues, en se nourrissant de l’esprit de la flore, les humains se (re)mettent en lien avec eux-mêmes, entre eux et avec le monde.
Le bleu glacier s’est imposé comme motif esthétique au départ – témoin d’une mémoire qui résiste. J’ai créé un herbier des rives de la Mer de Glace, une grâce à la dérive. J’ai photographié à la chambre 4×5 dans une temporalité lente, contemplative. Avec les personnes rencontrées, nous avons travaillé à partir de cartes postales anciennes, rehaussées d’or 22 carats.
J’ai réalisé des portraits explorant toutes les couleurs du spectre lumineux, inspirée par les environnements Snoezelen. Ces portraits célèbrent la diversité, l’interdépendance, la possibilité d’un vivre ensemble au-delà des blessures.
Une trajectoire collective
Mon mode opératoire a été fait en allers-retours : j’ai apporté mon travail à l’hôpital, les patients ont nourri mes recherches. Ensemble, nous avons créé une œuvre. D’un documentaire horizontal naît une histoire presque surréaliste : la « mythologie des hauteurs ».
La Mythologie des Hauteurs explore les récits que nous portons et ceux que nous inventons pour vivre nos hauteurs intérieures. C’est un projet sur la fuite et le refuge, sur ma propre fuite mise en place pendant des années pour ne pas regarder mes propres traumas, la violence conjugale, l’addiction et la disparition de ma mère.
Même si les souvenirs s’altèrent, même si la conscience se retire parfois pour survivre, quelque chose persiste. Le vivant.
Après les effondrements, les refuges, ce qu’il nous reste de tout cela, c’est la sensation d’amour.
Ce projet a été soutenu par la DRAC Rhone Alpes, le Département Haute Savoie, les Hopitaux du Mont Blanc, l’ARS, la communauté de communes de Chamonix Mont Blanc, la structure d’éducation du regard Image Temps.
Les coulisses sont visitables ICI.
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Deux pièces font parties de collections de l’Artothèque Haute Savoie

Motherhood
« Motherhood est un giron, contenant le corps d’un enfant, des végétaux, des étendues liquides, et des bouquets de pages blanches. On y entre en faisant silence, sur la pointe des pieds, les yeux grand ouverts. Voici un espace de délicatesse que baigne, pourquoi ne pas risquer l’expression, un flux d’amour envers ce qui est, fragile, précaire et pourtant immortel. L’instant photographique est moins une saisie qu’une empreinte sur l’envol de la feuille du vivant qui passe, à la fois fugace et définitif. Motherhood invite à l’attention, c’est sans nul doute un livre bouddhiste connaissant la valeur du satori. De la poudre de perlimpinpin des nuages naissent des paysages, des forêts de feuillus, des énigmes vertes et noires. Une petite fille a les paupières closes, elle connaît le début et la fin de l’histoire, son pays se nomme le Jadis. Tout apparaît pour elle dans une forme de surprésence, parce que tout est inactuel, atemporel, vibrant en sa loi propre. Il y a ici du conte, de la peur du loup, et des filaments de lumière comme des cailloux sur le chemin. La pénombre préserve, c’est celle des parents se rencontrant sous les draps à la tombée de la nuit, parce qu’en eux bat un désir de floraison, d’union, de création. Maintenant la petite fille, bloc de volonté, inamovible en ses trébuchements mêmes, pose les pieds sur la plage, dans la tourbe, alors que Saturne fait tourner en vain sa mélancolie. Elle danse, et dans son mouvement entraîne avec elle l’ensemble du paysage. Motherhood est une musique des sphères, un éloge du terrestre, un cadeau pour qui aura la chance d’en percevoir la part d’immémorial. »
Fabien Ribéry, critique d’Art et écrivain
Prix National HIP de l'Édition Photographique 2019
Catégorie Autoédition

Présences
Les serres municipales d’Annecy vont être détruites. Que reste-t-il des gestes, de l’alchimie et de la présence du Vivant ?
Sur invitation de l’Arteppes, centre d’Art contemporain Annecy, Laure a été conviée à réaliser une oeuvre sur et à partir de ce terrain de friche. Au milieu de plaques de verre et chassis à l’abandon résistaient encore quelques sauvages et d’autres cultivées : les plantes.
De l’invisible au visible. C’est ce mouvement de vie que l’artiste évoque avec grâce et poésie. Elle vient également questionner la notion du vivre ensemble, telle une clairière humaine, voire même druidique: un clan de résistantes se dressent devant nous en déployant leur lumière.
« Il nous faut des espaces de réconciliation il nous faut la grâce des simples, il nous faut un pacte renouvelé entre les vivants et les morts. Il nous faut des gestes qui unissent, sans craindre la solitude, ni l’exil. Ainsi l’art de Laure Maugeais en son royaume bleu, inventant la beauté d’un dispositif de révélation entre ce qui a chu et ce qui persiste dans la mémoire des lieux à la façon de traces inconscientes. Ses cyanotypes sur plaques de verre rappelant par la présence tenace et fragile des végétaux celle, ténue, des hommes, sont de l’ordre d’une plongée dans l’amniotique des rêves. A la façon d’une cérémonie secrète, ils se dressent, modestes et rayonnants, telles des stèles de lumière. Le travail sur le sensible de Laure Maugeais est pudique, délicat, de grande douceur. L’artiste a photographié des mystères, des survivances, des possibilités de guérison ou de déraison. Ces belles souveraines que l’on appelle quelquefois mauvaises herbes, mauvaises langues, quand on ne sait pas remercier l’invisible, accueillent le regardeur comme s’il était lui-même fils de prince, ou clochard céleste. »
Fabien Ribery Auteur – critique d’art et écrivain

Le Pli
La surface sensible du polaroid se déploie comme « le tissu de l’âme » cher à Deleuze, révélant l’essence même du sujet.
D’un point de vue géologique, la montagne est elle-même constituée de plis et de fractures, témoins silencieux du temps qui passe. Ces plis et replis de la matière nous racontent l’histoire du monde, sa formation et sa transformation perpétuelle.
Ce qui est plié n’existe pas en dehors de ce qui l’enveloppe. Une force spirituelle infinie devient la raison d’être du pli, son essence profonde. La photographie, dans son processus même de dévoilement, mime ce mouvement fondamental de l’être vers la lumière.
Dans ces images, les imposantes montagnes deviennent paradoxalement fragiles face au regard humain qui les capture. Le rapport traditionnel s’inverse : l’homme, si petit dans le paysage réel, semble soudain pouvoir contenir l’immensité. Le regardeur acquiert le pouvoir de les dominer, le temps de l’observation. Leurs différences se déplient et, parfois, font se replier chacune des parties sur elle-même. Cette dynamique s’étend aux habitants de ces territoires, créant une distinction subtile entre ceux d’ici et les autres.
Du pli originel au dévoilement de l’être, ces photographies interrogent notre capacité d’adaptation. Vivre en montagne, n’est-ce pas accepter de s’y plier tout en découvrant, dans ce processus même, une forme inédite de liberté ?
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Certaines pièces font parties de collections publiques (Artothèque Haute Savoie, Haut Poitou, ENSA Chamonix, Maison de la Mémoire et du Patrimoine Chamonix) et d’autres sont dans des collections privées (les deux Drus)

René
René, un prénom qui se transmet dans ma famille. Mes parents me l’ont donné. Les hommes ainsi nommés sont tous emportés jeunes. Je serai la seule femme et la dernière personne. Mon père, je l’ai connu alors qu’il vivait sa trentaine d’années, mon âge aujourd’hui.
Apparitions.
En couleur.
Je laisse entrer René dans mon présent, mon territoire actuel. Les documents apposés aux photographies offrent un appui dans le réel. Les prières écrites de la main de sa mère murmurent une crainte qu’il n’arrive quelque chose. Il est malade, tout le monde le sait, tout le monde se tait.
Mes souvenirs surgissent en nuances de gris: cette femme qui t’attend, cette voiture que tu gares, cachée, pendant que tu te réfugies dans ton ailleurs.
En 6 mois. Il est parti. Tout a changé.
Janvier 1991.
Renatus in aeternum.
Technique : Prises de vue polaroid – documents papiers sortis d’un portefeuilles – insertion de photographies d’époque.